La blockchain au service de la propriété intellectuelle

Bien que la technologie blockchain soit encore très souvent associée aux monnaies virtuelles (comme le Bitcoin), elle couvre un champ d’application bien plus large : les secteurs du juridique, des assurances, de la finance, de la santé, de l’industrie, du notariat, et répond également aux besoins du secteur de la propriété intellectuelle.

de Raïssa MAMANE
7 min

du 16 fev. 2021

Sommaire

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1. L'importance de la preuve de la propriété intellectuelle

La propriété intellectuelle correspond au droit de propriété sur une création intellectuelle. La matière se divise en deux branches : la propriété industrielle et la propriété littéraire et artistique.

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Un droit de propriété intellectuelle (brevet, marque, dessin et modèle...) est un droit d’exploitation exclusif, temporaire et transmissible. Pour les personnes physiques comme pour les personnes morales, les droits de propriété intellectuelle composant leur patrimoine immatériel sont de véritables actifs stratégiques dont la protection est indispensable.

Une des différences principales entre les deux branches de la propriété intellectuelle réside dans le fait générateur du droit :

-       En matière de propriété industrielle, la reconnaissance d’un droit de propriété intellectuelle implique généralement la délivrance d’un titre de propriété intellectuelle par l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI).

-       En matière de propriété littéraire et artistique en revanche, le droit d’auteur naît du seul fait d’une création originale. Par conséquent, il existe sans besoin de délivrance d’un titre par une autorité.

Toutefois, un constat est communaux deux branches : les litiges impliquant un droit de propriété intellectuelle concernent toujours des questions de preuve : preuve de la date de naissance du droit, de son titulaire, de son exploitation... Face à ces problématiques, la blockchain apparaît comme une solution très pertinente.

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2. La blockchain au service de la propriété intellectuelle

Selon le site www.economie.gouv.fr la blockchain est une “technologie de stockage et de transmission d’informations, prenant la forme d'une base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs et qui ne dépend d'aucun organe central”.

S’il n’y a à ce jour pas de consécration légale de la force probante de la preuve blockchain, leMinistère de la justice a précisé en 2019 que “Notre droit permettant d’appréhender de manière satisfaisante les questions probatoires soulevées parles chaînes de blocs, il ne nous paraît donc ni nécessaire, ni opportun de créer un cadre légal spécifique”.

La preuve blockchain doit donc recevoir le même traitement qu’un autre mode de preuve. En effet, l’article1316-1 du Code civil reconnait à l'écrit sous forme électronique la même valeur probante que l’écrit papier, “sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité”.

Dans le domaine de la propriété intellectuelle, l’utilisation de cette technologie peut être déterminante pour protéger le patrimoine immatériel.

Schématiquement, les fichiers à inscrire dans la blockchain sont convertis (hachés) en une empreinte (une suite de chiffres et de lettres). Seule cette empreinte est inscrite (ancrée) dans la blockchain et est donc accessible à tous les utilisateurs de la blockchain : la confidentialité et la pérennité de la chaine de blocs sont assurées.

L'ancrage donne alors lieu à la délivrance d’un certificat horodaté mentionnant l’empreinte : la blockchain permet de cette façon d’assurer une date certaine infalsifiable.

Les empreintes n'étant attribuées qu’une seule et unique fois, la modification du fichier déjà ancré entraine la modification de l’empreinte. Une empreinte n’est donc rattachable qu’à un seul fichier: le fichier ancré est donc infalsifiable.

Pour apporter la preuve de l’ancrage d’un fichier il faudra alors vérifier que l’empreinte mentionnée dans le certificat correspond au fichier en question. Cela s’effectuera par la comparaison du hash enregistré sur la blockchain et du calcul du hash du fichier à vérifier : la technologie est sécurisée.

La blockchain présente ainsi plusieurs avantages : l’horodatage, le caractère confidentiel et infalsifiable des informations ancrées, l’anonymat des utilisateurs et l’absence de limites spatiales ou temporelles. Cette technologie mise au service de la propriété intellectuelle peut répondre à plusieurs besoins :

·       Prouver l'existence d’une création

En matière de propriété industrielle, pour le brevet par exemple, un titre délivré par l’INPI permet de prouver l’existence d’un droit de propriété intellectuelle. C’est sur cette base que son titulaire pourra revendiquer la protection de son invention.

En matière de droit d’auteur en revanche, le droit naît du seul fait d’une création de forme originale (L111-1du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI)). Par conséquent pour être protégé en cas de litige, l’auteur devra apporter lui-même la preuve de la date de création de son œuvre originale. Pour cela, il peut avoir recours à plusieurs méthodes classiques pour conserver une preuve datée de sa création et notamment : l’enveloppe Soleau, l’envoi d’une lettre recommandée à lui-même, ou bien le dépôt auprès d’un officier ministériel.

Par ses caractéristiques, la blockchain se présente comme une nouvelle alternative pour l’auteur. Celui-ci pourra ancrer anonymement et rapidement ses créations sous forme de hash (hachage cryptographique) sur ce registre et ainsi horodater ses travaux, achevés ou non, lui permettant ainsi de garder une trace du processus créatif.En cas de litige, le certificat attestera de la date de création et de l’intégrité de l’œuvre.

Cette preuve permettra également à l’auteur d’un dessin et modèle protégé cumulativement par le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles d’obtenir une preuve de date de la création, et éventuellement de sa paternité avant même le dépôt du dessin et modèle auprès de l’INPI. Attention cependant, l’enregistrement en blockchain ne dispense pas l’enregistrement en office, qui seul délivre un droit.

Des entreprises proposent déjà des services d’enregistrement à ces fins. La société DATATRUST par exemple propose “La certification de toutes les étapes de création d'un flacon de parfum permet de prouver devant un juge la paternité de ce dernier, même si le dépôt auprès de l'INPI n'a pas encore été effectué.”


·      Prouver l’existence d’une exploitation

En matière de brevet, se ménager la preuve de l’exploitation peut être déterminante. Une hypothèse permet de faire échec au monopole d’exploitation du titulaire d’un brevet d’invention :l’utilisation antérieure.

Cette exception permet à la société qui utilisait la technologie brevetée avant que celle-ci ne soit protégée de pour suivre son exploitation (si faite de bonne foi) et même de transmettre ce droit d’exploitation avec le fonds de commerce, l'entreprise ou la partie de l'entreprise auquel il est attaché (L. 613-7 du CPI). Cette exception constitue pour la société un véritable avantage économique :  elle est alors une des rares à pouvoir faire exception au monopole d’exploitation de 20 ans du titulaire du brevet.

Ainsi, une société utilisant une technologie non encore brevetée a tout intérêt à garder son utilisation secrète dès le départ. Pour se ménager une preuve de son utilisation, la blockchain sera l’outil parfait pour dater l’exploitation de façon pérenne et confidentielle.

 

·      Assurer la traçabilité

La blockchain permet d’assurer une traçabilité des données puisqu’une fois ancrées, celles-ci ne peuvent être supprimées : cela peut être utile pour suivre le parcours d’un droit de propriété intellectuelle ou même d’un produit protégé.

L’inscription en blockchain permet ainsi de tracer la vie du droit de propriété intellectuelle : de sa naissance à sa cession, son prêt, son nantissement par exemple. L'inscription en blockchain des contrats enlève alors tout doute quant au propriétaire ou cessionnaire du droit à un instant T, tout en conservant la confidentialité des relations contractuelles.

De la même façon, la blockchain permet de tracer la vie du produit protégé par le droit de propriété intellectuelle :de sa réalisation à ses ventes successives, permettant ainsi de vérifier l'authenticité d’un bien. L'absence de traçage identifie alors le produit comme une contrefaçon, ce qui est particulièrement utile dans certaines industries comme l’industrie du luxe.

Des sociétés mettent déjà la technologie de la blockchain au service de la traçabilité de produit. En 2019déjà, le groupe LVMH, le studio Ethereum ConsenSys et la multinationaleMicrosoft ont créé une plateforme développée sur la blockchain qui “permet de suivre les articles de luxe depuis leur production jusqu’à leur commercialisation mais également plus tard sur le marché de l’occasion.”
En 2020, la maison de couture Alexander Mc Queen a quant à elle eût recours aux services de la start-up Everledger pour assurer la traçabilité de vêtements. La start-up a ainsi créé une plateforme “ qui fournit un enregistrement numérique sécurisé et permanent de l'origine, des caractéristiques et de la propriété d'un objet dans tous les secteurs verticaux”. La plateforme propose la traçabilité de produits appartenant à des domaines variés : “Des diamants et pierres précieuses aux vins et spiritueux, aux vêtements et produits de luxe, à l'art et aux assurances, aux batteries de véhicules électriques et bien plus encore”. Leur politique en matière de traçage de diamants consiste à micro-graver un numéro sur un diamant, et à l’ancrer en blockchain, tout comme ses ventes successives.Ce faisant, il est possible, à partir de cette empreinte, de remonter la chaine de provenance du diamant pour connaître son parcours.

Dans le domaine des produits de grande consommation cette fois, en 2020, la société Vechain a notamment conclu un partenariat avec Bayer China pour le développement d’une plateforme de traçabilité des essais cliniques pour les médicaments, fonctionnant avec la technologie de la blockchain.

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3. Conclusion

Par conséquent, par ses caractéristiques, la blockchain est sans aucun doute une technologie appropriée en matière de propriété intellectuelle, qui a déjà gagné la confiance de grands acteurs économiques du milieu et qui continue d’élargir son champ d’application. Par exemple, a développé sa propre blockchain privée et propose aux entreprises de se débarrasser de leurs registres papier de mouvement en les migrant et les enregistrant en blockchain, comme le permet le décret n°2018-1226 du 24 décembre 2018 relatif à l’actionnariat des sociétés.

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Raïssa MAMANE
Juriste

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